agencements
en écho aux travaux d'Anna Lowenhaupt Tsing, merci à elle.
Agencement : faire attention aux histoires divergentes, stratifiées et combinées qui fabriquent des mondes.
Les agencements sont des rassemblements toujours ouverts.
– Anna Lowenhaupt Tsing
Patch : tache/morceau/bribe - concept utilisé par Anna Tsing pour parler d’un espace homogène qui diffère de ce qui l’entoure et qui concerne la faune, la flore, les microbes, etc.
Je définirai la mise en scène, en tant que processus organique, comme un agencement.
Un assemblage de patchs hétérogènes dont le rapprochement, dans le fond comme dans la forme, crée une cohérence signifiante.
Un patch, c’est un morceau de quelque chose, un objet par exemple, qui est bien souvent l’indice de plus que lui, choisi (reconnu) pour sa polysémie possible dans un contexte pré-établi ou qui va créer ce contexte.
Je prendrai l’exemple de deux arbustes morts déracinés, dénichés dans un fossé, taillés en boule et dont les racines sont encore pleines de terre. Sur un tapis de danse blanc, ces deux choses paraissent encore plus mortes tout en symbolisant la nature, et par extension peut-être, la vie. Ces choses envoient un faisceau d’informations au corps et au regard : leur poids, leur symétrie / dissymétrie, leur noirceur, la terre qu’ils libèrent sous eux.
Si je pose l’un d’eux sur un vieux fauteuil de velours rouge auquel il manque un pied, et qui de ce fait, est en désequilibre, quelque chose, dans le rapport entre les deux objets se passe, dans l’improbabilité d’une telle rencontre. Quelque chose se manifeste, qui semble faire sens malgré le - ou grâce au - caractère improbable de ce rapprochement.
La question est de savoir dans quel système d’agencement, quel enchaînement, cette apparition prendra place.
La reconnaissance du sens (d’un sens) est toujours d’ordre intuitive et énergétique, infra-intellectuelle.
Le fauteuil et les arbres sont deux patchs distincts (dans la mesure où ils sont issus de deux univers référentiels différents, la nature et la maison) qui, si l’on décide de les accoler de façon permanente, composent alors un seul patch.
Souvent pour que ce patch devienne agissant, performatif - dramatique - il faut encore le mettre en interaction, en tension ou en crise avec un autre élément : corps, texte, son.
Un "patch signifiant" est souvent l’agencement de trois ou quatre "patchs primaires". Et c’est l’agrégation de l’ensemble des patchs signifiants qui constitue le corps de la performance.
L’agrégation des patchs peut rester indéterminée et aléatoire, comme c’est le cas de la performance face (to face)
Le texte est lui-même souvent un « patchwork » incohérent, qui ne tient pas debout sans mise en scène.
Il est composé par captation d’extraits de textes dans des oeuvres hétérogènes. On pourrait dire même que ces textes sont piratés au seul profit du travail en cours : sortis de leur contextes, parfois tronqués. L’utilité prime, la nécessité fait loi. Le filtre qui nous fait les choisir n’est pas toujours le même, et il est rarement explicite. Là aussi l’intuition est reine.
Au départ il y a un cadre d’émergence : une idée, un sujet, une observation, un désir, une nécessité confuse.
Dès ce moment là, nous réalisons souvent qu'une partie de la matière future s’agence d’elle-même ou est déjà présente dans notre environnement : au détour d’un livre, d’une photo, d’une conversation entendue, d’un souvenir de situation. Il s’agit alors de tout laisser venir, ne pas trier ou presque, même si on ne sait pas encore pourquoi ça se présente. Nous sommes comme orientées.
En parallèle, assez vite, la recherche active, l’exploration intellectuelle et sensible, la documentation.